L’Institut universitaire en santé mentale de Québec – La thérapie par le travail
Si le loisir est perçu comme un traitement thérapeutique parce qu’il rompt avec la monotonie de la vie et qu’il distrait des idées délirantes, plusieurs médecins recommandent qu’il soit jumelé avec le travail « qui exerce une influence identique et également salutaire sur l’esprit du malade1 ». Le travail est considéré par les médecins comme étant la première étape dans le rétablissement du malade. Il est conseillé car il favorise la désaliénation et la resocialisation de l’homme : il lui redonne un sentiment d’utilité envers la société. Il l’habitue à des horaires réguliers et à des charges de travail augmentées graduellement, le mettant donc en position d’adaptation au monde qu’il réintègre.
Mais malgré la prolifération des types de travaux donnés aux patients et les bienfaits qu’ils en retirent, la thérapie par le travail connaît aussi ses difficultés. La décennie 1870 voit la thérapie par le travail perdre en importance à l’Asile des Aliénés de Québec compte tenu du personnel surveillant manquant. De plus, cette époque est marquée par une vocation lucrative donnée à l’asile et le traitement moral coûte cher. Afin de diminuer les coûts, les propriétaires remettent en place un traitement qui avait beaucoup été délaissé : l’isolement et la contention, et ce malgré la volonté de créer un vaste projet de traitement moral en 1874-75. Ce projet comportait un volet travail : jardinage, atelier de tricot, couture, menuiserie, cordonnerie, boulangerie, entretien de l’abattoir, de la porcherie, des étables et un volet loisirs : danse, promenades, pique-niques, théâtre, concerts, amusements publics, cirque, lectures illustrées, jeux de société et chansons. Malgré cela, il semble que ce projet n’ait pas été appliqué, car un rapport d’inspecteurs datant de 1880 affirme que seulement une vingtaine de patients s’adonnent à des activités étant considérées comme de la thérapie morale. Par contre, dès le début de la décennie 1880, on remet en place le traitement moral car on en perçoit réellement les bénéfices1.
Ainsi, depuis 1845, on initie les patients à sarcler, à jardiner, à couper et à fendre du bois. L’hiver, ils s’occupent au déblayage de la neige et au cassage de cailloux. En 18924, le docteur Arthur Vallée, (B15-B-15a) surintendant médical à l’Asile des aliénés de Québec de 1893 à 1903, souligne que plus de 75% des hommes de l’hôpital sont occupés à la réparation des édifices de l’hôpital. Quant à elles, les femmes fabriquent de nouveaux vêtements, cousent, tissent et tricotent. (B16-B17-B18-B19-B19-a) En 1897, l’hôpital bénéficie de deux ateliers de fabrication de brosses où bon nombre de malades travaillent. Ces deux ateliers, très productifs, sont cette année-là accusés par les entreprises extérieures de concurrence déloyale. Pourtant, leur marchandise est vendue au prix du marché3. Cette époque va d’ailleurs marquer le début de la très grande utilisation des ateliers à l’Asile des Aliénés de Québec. (B20-B21)
Les bienfaits du traitement moral sont en effet assez importants pour que ce type de traitement perdure encore aujourd’hui, et ce malgré sa transformation avec le temps4. L’arrivée des médicaments n’a pas relégué aux oubliettes les loisirs et le travail : de nouveaux programmes sont ainsi mis en place. En ce qui concerne la thérapie par le loisir, l’année 1968 voit un projet d’expression graphique être mis sur pied, afin d’apprendre aux sujets à mieux comprendre leurs problèmes à travers ce qu’ils font à l’atelier, à se découvrir des capacités personnelles insoupçonnées et à s’exprimer plus spontanément. Le centre Émile-Nelligan est créé dans les années 1970, dans un but « d’apprentissage de comportements sociaux acceptables ainsi que la prise de contact avec la réalité par la forme, la matière concrète, les objets et l’environnement en recourant à l’ergothérapie et à son programme d’artisanat, toujours sans oublier l’expression graphique5
À cette même époque, la zoothérapie est introduite à l’Hôpital Saint-Michel-Archange, à des fins de soins physiques et psychogériatriques. On garde des petits animaux et des oiseaux dans un endroit qui est appelé Le Bosquet6. La thérapie par le travail s’est aussi développée avec le temps et le nombre de types de travaux s’est multiplié. Contrats industriels, fabrication de cabanons, de lavettes, de vadrouilles, embouteillage de shampooing, préparation de légumes et production culinaire, activités reliées à l’imprimerie, à la fabrication de pochettes, assemblage, pliage et brochage de documents, messagerie, buanderie et réception de marchandises sont des exemples des types de travaux pratiqués dans les années 1970. La grande diversité permet ainsi d’attirer et de satisfaire plus de patients.
Le traitement moral, qui a de nombreuses fois fait ses preuves depuis 1845, définit avec le temps ses objectifs et les précise. C’est vers 1960 que la thérapie morale (devenue la thérapie du milieu) confirme ses buts : rapprocher le patient de la nature et l’éloigner de son milieu pathologique, détourner son esprit des pensées morbides, lui donner un environnement ordonné et structuré, promouvoir le contact avec des personnes « intelligentes » afin d’améliorer sa sociabilité ainsi que lui donner de la latitude dans l’expression de ses goûts individuels7. En bref, cette thérapie vise à redonner au patient une vie sociale et occupationnelle sans lui donner l’objectif d’une parfaite réinsertion dans la société, ce qui croyait-on, lui mettrait trop de pression.
Il est ainsi possible de voir que le traitement moral, présente dès la fondation des hôpitaux psychiatriques, évolue avec les années. Les médecins en comprennent tout de suite l’efficacité, et avec le temps, on le perfectionne. Ce traitement moral s’inscrit dans un processus d’institutionnalisation de la psychiatrie et le rôle qu’il y joue est primordial, puisque même avec l’arrivée des traitements médicaux, qui semblent révolutionnaires à l’époque, le traitement moral va continuer d’être appliqué dans tous les hôpitaux. L’ère du traitement de la maladie mentale, au même titre que toute autre maladie physique, commence.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 108.
- Normand Séguin. op.cit., p. 48.
- Jules Lambert. Mille fenêtres. Éditions Centre hospitalier Robert-Giffard, Beauport, 1995, p. 34.
- Aujourd’hui, le loisir et le travail sont encore considérés comme bénéfiques, et ce autant pour les personnes atteintes de maladie mentale que pour le reste de la société.
- Jules Lambert. Mille fenêtres. op.cit., p. 129.
- Ibid., p. 147.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 115.