L’Institut universitaire en santé mentale de Québec
La prise en charge des maladies mentales n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. En dépit du développement de la science, on connaît encore mal les causes de plusieurs maladies. Par contre, les traitements afin d’améliorer la qualité de vie des malades ont subi une amélioration notable au fil des années. Mais si nous remontons quelques siècles auparavant, la situation était bien différente et les gens avaient des conceptions de la vie et des valeurs d’un autre ordre.Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on connaissait peu ou pas les causes de la folie. Elle était souvent confondue avec la criminalité. Les scientifiques de l’époque ne s’entendaient pas à savoir si le fou était possédé par le diable, créant ainsi des crises de folie passagères, ou si l’origine de ces états d’âme était de nature physique. Quoiqu’il en soit, trois choix s’offraient à l’époque comme lieu d’enfermement des fous : l’hôpital, la prison ou la loge, ce dernier n’existant seulement qu’au Québec. Par contre, le but était le même pour chacun d’eux : la disparition de la vue des éléments indésirables de la région de Québec et l’abolition de la mendicité dans ses rues. C’est donc dans le but de réduire la mendicité que l’Hôpital Général de Québec fut fondé en 1629 et des établissements de même nature furent aussi construits à Montréal et à Trois-Rivières1. Il ne devient cependant un lieu de réclusion en 1714 pour les femmes, avec les « maisons de force » et en 1721 pour les hommes, avec les loges. Ces formes de réclusion n’offraient au malade ni guérison, ni traitement. Leur fonction première était de réprimer les aliénés dangereux et d’aider les familles ne pouvant subvenir aux besoins de ces malades. C’est en 1801 que la première loi concernant le financement de l’incarcération des malades mentaux fait son apparition. L’enfermement dans les loges atteint alors un paroxysme; étant financées par l’État, on les remplit à leur pleine capacité. Dans ces loges, le seul moyen utilisé pour traiter les malades en état de crise était alors la contention : on privait le patient de l’usage de ses membres en l’immobilisant complètement.
En Europe, ceux qui attribuaient la folie à des causes purement physiques mirent au point d’autres techniques dont l’efficacité est plus que douteuse. À titre d’exemple, les machines rotatives étaient un moyen utilisé afin de « guérir » de la folie : on attachait le patient sur une chaise et on le faisait tourner sur lui-même pendant des heures, voire même des jours.
Cette technique était utilisée dans le but de faire monter le sang au cerveau et de donner des nausées, qui, disait-on, avaient des effets bénéfiques. Le bain-surprise constituait un autre traitement de ce genre, tout comme la cage de fer, qui servait à isoler le fou durant sa crise et à contrôler ses mouvements2.
C’est vers 1793 que le vent tourna pour ces malheureux. Un médecin français du nom de Philippe Pinel mit au point une nouvelle théorie qui rejetait les conceptions de la folie présentes dans la société. En effet, Pinel prônait l’abandon des méthodes thérapeutiques violentes, à l’exemple de la cage de fer ou de la chaise tournante, pour adopter des méthodes plus calmes et plus humaines, comme le traitement moral. C’est à cette époque qu’on commence à classifier les troubles mentaux. Pinel en avait élaboré une répartition au début du XIXe siècle, qui divisait les maladies mentales en quatre catégories : la mélancolie, la manie, l’idiotisme et la démence. Cette catégorisation des maladies fut longtemps la seule référence qui fut utilisée dans le domaine de la psychiatrie.
Mais à la fin du XIXe siècle, trois types de désordres mentaux ont remplacé la classification de Pinel : la paralysie générale, qui inclut toutes les complications de la syphilis tertiaire, l’alcoolisme (sevrages, psychoses, intoxications, démences alcooliques) et la schizophrénie. Ce sont les premiers balbutiements de la science de la santé mentale : la psychiatrie.
En 1824, un rapport est déposé au gouvernement sur les aliénés au Bas-Canada, conformément à un mouvement de déresponsabilisation de l’Église et des ordres religieux face aux malades mentaux.3 Dans ce contexte, le docteur James Douglas, médecin réputé dans la région de Québec, donna une conférence sur les causes de la folie, qu’il attribuait non seulement à l’hérédité, mais aussi aux causes socio-économiques et socio-culturelles de l’époque. Cette vision de la folie amena une nouvelle conception : elle peut frapper n’importe qui et la remise en établissement respectable en plus du contrôle des mauvaises habitudes du patient peuvent avoir des conséquences positives pour l’individu. C’est ainsi que l’État fit appel au docteur Douglas pour fonder un asile à Québec qui serait financé par les deniers publics. Le docteur Douglas se donna par contre un objectif différent de celui du « renfermement » des aliénés : la réforme morale du malade. L’isolement et l’incarcération étroite et passive ne pouvaient, selon lui, qu’augmenter la folie et mener, dans certains cas, au suicide. À l’isolement succéda donc la vie communautaire; à la violence, le calme et la douceur; au régime de pain et d’eau, les bons repas; etc., le tout dans un but de moralisation du patient.4
C’est donc en le 15 septembre 1845 que l’Asile provisoire de Beauport (aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Québec) fut fondé par le docteur James Douglas, aidé des docteurs Charles-Jacques Frémont et Joseph Morrin, et ce dans l’ancien manoir du Sieur Robert Giffard, pionner et premier médecin de la Nouvelle-France, seigneur de Beauport.
Dès l’ouverture, 95 « lunatiques » (terme utilisé à l’époque pour désigner les aliénés mentaux) furent tirés des hôpitaux et prisons de Québec, Montréal et Trois-Rivières pour être placés à l’asile. C’est la première fois que des lunatiques étaient considérés comme des malades et donc, par définition, guérissables.5 L’humanité des nouvelles thérapies du docteur Douglas permettront ainsi de changer certains traitements chocs auxquels on croyait à cette époque. C’est le cas, par exemple, des bains-douches. Le patient était enfermé dans une cuve pendant une quinzaine de minutes et l’on déversait de l’eau froide sur lui. C’est aussi le cas des saignées sur la tête, de l’utilisation des sangsues et du mercure, etc.
On tentait encore, à cette époque, de guérir les malades par l’étourdissement et les vomissements. La contention et l’isolement étaient toujours d’actualité pour les cas violents.6 Ces traitements seront ainsi abandonnés peu à peu grâce aux méthodes plus douces du docteur Douglas.
Cette époque est donc caractérisée par une prise de conscience des autorités en place : ils constatent que le système de traitement des fous est désuet et barbare. S’ensuit ainsi la création d’un asile en 1845 à Québec, le premier de la province.
On note un certain changement dans les traitements qui sont administrés aux malades mentaux, mais surtout, dans les conceptions de la maladie mentale, avec la théorie de Pinel qui sera appliquée à l’Asile provisoire de Beauport dès sa fondation : le traitement moral. Il est à noter qu’en 1885, le contrôle médical des établissements dans ce domaine passe aux mains du gouvernement.
- Appellations du Centre hospitalier Robert-Giffard depuis ses débuts : 1845-1850 : Asile provisoire de Beauport.; 1850-1865 : Quebec Lunatic Asylum; 1865-1912: Asile des aliénés de Québec; 1912-1923 : Asile Saint-Michel-Archange; 1923-1976 : Hôpital Saint-Michel-Archange; 1976-2009 : Centre hospitalier Robert-Giffard.
- Normand Séguin. s.d., L’institution médicale. Les presses de l’Université Laval, Québec, 1998, p. 37.
- Collection des archives, Galerie historique Lucienne-Maheux, Institut universitaire en santé mentale de Québec.
- Hubert A. Wallot. Entre la compassion et l’oubli: La danse autour du fou, Survol de l’histoire organisationnelle de la prise en charge de la folie au Québec depuis les origines jusqu’à nos jours, I- La chorégraphie globale. Éditions MNH, Beauport, 1998, p. 30.
- Ibid.
- Louisa Blair. Les Anglos : La face cachée de Québec, Tome I : 1608-1850. Commission de la Capitale nationale du Québec et Éditions Sylvain Harvey, s.l., 2005, p. 88.
À ses débuts, le traitement moral, qui inclut toute thérapie relative à la raison et à l’esprit, par exemple les loisirs ou le travail, n’est, selon certains auteurs, qu’une façade qui sert à cacher la vraie vocation des asiles : interner tous les indésirables afin de blanchir le paysage de la société1. Cependant, on se rend vite compte des bénéfices qu’apporte le traitement moral et on se met ensuite à l’appliquer de plus en plus fréquemment. À la suite de la publication de la théorie de Pinel, un rapport est déposé en 1810, par le docteur William Hackett, médecin de l’Hôpital Général de Québec. Le rapport stipule que l’activité, la gaieté et l’exercice régulier sont une source de santé et sont salutaires pour le corps et l’esprit, et que l’absence totale de stimulation ne convient qu’aux fous furieux2.
- Peter Keating. La Science du Mal : L’institution de la psychiatrie au Québec, 1800-1914. Éditions Boréal, Montréal, 1993, p. 146.
- H. A. Wallot. op. cit., p. 38.
En 1893, les Sœurs de la Charité de Québec signent un contrat avec le gouvernement du Québec afin de prendre soin et d’entretenir les malades de l’Asile des aliénés de Québec, qui deviendra par la suite l’Hôpital Saint-Michel-Archange. (B1) Elles commencent tout de suite l’aménagement du territoire en y installant des parcs et des jardins autour des édifices afin de rendre plus agréable le séjour des malades. Aussi, la thérapie par les loisirs commence à être appliquée. Plus d’une fois par mois, les sœurs organisent des soirées musicales au profit des patients. L’été laisse place à de nombreux pique-niques. (B2) Puis, de plus en plus, d’autres activités sont introduites dans le traitement des patients : jeu de dames, lecture, musique, danse, etc. (B3) Cette dernière activité était perçue par les médecins comme très thérapeutique car elle canalisait le besoin d’agitation, de somatisation, ainsi que de transgression des patients. Elle permettait donc la reprise de leurs forces et comblait leur besoin de sommeil1. On assiste même à la création d’une fanfare en 1900, (B5) autre activité très appréciée des malades. Notons aussi les bals organisés pour les patients et pour les employés auxquels participaient chaque mois plus de 200 personnes. Les fêtes étaient des événements très attendus: Noël (les malades recevaient un petit présent), le Nouvel An, la Sainte-Catherine, la mi-carême, le temps des sucres, les anniversaires, etc. (B6-B8) Également, un pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré était offert chaque année par la Compagnie des Chemins de fer Québec-Montmorency-Charlevoix2. (B9) Cette forme de thérapie portait fruit en rompant la monotonie de la vie qui régnait chez les patients internés. (B10) Un bon nombre d’entre eux jouissaient de leur pleine liberté sur le terrain, ce qui aidait à leur responsabilisation. L’année 1937 voit l’inauguration de la première station de radiodiffusion de l’hôpital; nouvelles et musique sont diffusées, ainsi que les offices religieux et les prières. Ainsi, en plus d’être divertis, les patients sont au courant de ce qui se passe à l’hôpital. (B12-B13)
- Normand Séguin. op. cit., p. 43.
- Hubert A. Wallot. op. cit., p. 105.
Parallèlement, la thérapie occupationnelle se développe et est également bénéfique pour les malades. Dès 1900, l’artisanat commence à prendre de plus en plus de place dans les activités thérapeutiques. Peinture, céramique, vannerie, tricot, broderie, ébénisterie, les malades s’adonnent à plusieurs activités reliées au travail manuel. Des expositions des produits réalisés sont organisées afin de démontrer à la population à quoi s’occupent les malades internés. Ainsi, en 1922, le Château Frontenac organise une exposition et le lendemain, le journal Le Soleil déclare dans un article que 430 patients de l’Hôpital Saint-Michel-Archange s’occupent à des travaux manuels et que leurs produits pourraient aisément subir la concurrence des marchés1. En 1930, l’hôpital compte plus de dix ateliers d’artisanats différents où les patients se rendent régulièrement.Au fil du temps, les modes d’occupation se multiplient et s’améliorent. En 1968, l’éducation physique est ajoutée à la liste des divertissements, les médecins vantant ses nombreux bénéfices. (B-13a) En effet, l’activité physique aiderait à canaliser des besoins inconscients comme l’agressivité, l’identification, l’affectivité et la créativité. Elle était particulièrement recommandée pour les patients agressifs, agités ou présentant un tonus musculaire faible2. Ainsi, la thérapie occupationnelle était très populaire à l’Hôpital Saint-Michel-Archange : elle était non seulement appréciée des malades, mais elle était aussi très profitable pour eux. (B14)
- Jules Lambert. Fiches documentaires lors de la réalisation du livre : Mille fenêtres. Galerie Lucienne-Maheux, Institut universitaire en santé mentale de Québec. Fiche no 2.
- Wilfrid Pilon et Pierre Audet. Activités thérapeutiques de groupe. Unité B des Messieurs. Hôpital Saint-Michel-Archange, Galerie Lucienne-Maheux, Institut universitaire en santé mentale de Québec, 1968, p. 2.
Si le loisir est perçu comme un traitement thérapeutique parce qu’il rompt avec la monotonie de la vie et qu’il distrait des idées délirantes, plusieurs médecins recommandent qu’il soit jumelé avec le travail « qui exerce une influence identique et également salutaire sur l’esprit du malade1 ». Le travail est considéré par les médecins comme étant la première étape dans le rétablissement du malade. Il est conseillé car il favorise la désaliénation et la resocialisation de l’homme : il lui redonne un sentiment d’utilité envers la société. Il l’habitue à des horaires réguliers et à des charges de travail augmentées graduellement, le mettant donc en position d’adaptation au monde qu’il réintègre.Mais malgré la prolifération des types de travaux donnés aux patients et les bienfaits qu’ils en retirent, la thérapie par le travail connaît aussi ses difficultés. La décennie 1870 voit la thérapie par le travail perdre en importance à l’Asile des Aliénés de Québec compte tenu du personnel surveillant manquant. De plus, cette époque est marquée par une vocation lucrative donnée à l’asile et le traitement moral coûte cher. Afin de diminuer les coûts, les propriétaires remettent en place un traitement qui avait beaucoup été délaissé : l’isolement et la contention, et ce malgré la volonté de créer un vaste projet de traitement moral en 1874-75. Ce projet comportait un volet travail : jardinage, atelier de tricot, couture, menuiserie, cordonnerie, boulangerie, entretien de l’abattoir, de la porcherie, des étables et un volet loisirs : danse, promenades, pique-niques, théâtre, concerts, amusements publics, cirque, lectures illustrées, jeux de société et chansons. Malgré cela, il semble que ce projet n’ait pas été appliqué, car un rapport d’inspecteurs datant de 1880 affirme que seulement une vingtaine de patients s’adonnent à des activités étant considérées comme de la thérapie morale. Par contre, dès le début de la décennie 1880, on remet en place le traitement moral car on en perçoit réellement les bénéfices1.Ainsi, depuis 1845, on initie les patients à sarcler, à jardiner, à couper et à fendre du bois. L’hiver, ils s’occupent au déblayage de la neige et au cassage de cailloux. En 18924, le docteur Arthur Vallée, (B15-B-15a) surintendant médical à l’Asile des aliénés de Québec de 1893 à 1903, souligne que plus de 75% des hommes de l’hôpital sont occupés à la réparation des édifices de l’hôpital. Quant à elles, les femmes fabriquent de nouveaux vêtements, cousent, tissent et tricotent. (B16-B17-B18-B19-B19-a) En 1897, l’hôpital bénéficie de deux ateliers de fabrication de brosses où bon nombre de malades travaillent. Ces deux ateliers, très productifs, sont cette année-là accusés par les entreprises extérieures de concurrence déloyale. Pourtant, leur marchandise est vendue au prix du marché3. Cette époque va d’ailleurs marquer le début de la très grande utilisation des ateliers à l’Asile des Aliénés de Québec. (B20-B21)Les bienfaits du traitement moral sont en effet assez importants pour que ce type de traitement perdure encore aujourd’hui, et ce malgré sa transformation avec le temps4. L’arrivée des médicaments n’a pas relégué aux oubliettes les loisirs et le travail : de nouveaux programmes sont ainsi mis en place. En ce qui concerne la thérapie par le loisir, l’année 1968 voit un projet d’expression graphique être mis sur pied, afin d’apprendre aux sujets à mieux comprendre leurs problèmes à travers ce qu’ils font à l’atelier, à se découvrir des capacités personnelles insoupçonnées et à s’exprimer plus spontanément. Le centre Émile-Nelligan est créé dans les années 1970, dans un but « d’apprentissage de comportements sociaux acceptables ainsi que la prise de contact avec la réalité par la forme, la matière concrète, les objets et l’environnement en recourant à l’ergothérapie et à son programme d’artisanat, toujours sans oublier l’expression graphique5À cette même époque, la zoothérapie est introduite à l’Hôpital Saint-Michel-Archange, à des fins de soins physiques et psychogériatriques. On garde des petits animaux et des oiseaux dans un endroit qui est appelé Le Bosquet6. La thérapie par le travail s’est aussi développée avec le temps et le nombre de types de travaux s’est multiplié. Contrats industriels, fabrication de cabanons, de lavettes, de vadrouilles, embouteillage de shampooing, préparation de légumes et production culinaire, activités reliées à l’imprimerie, à la fabrication de pochettes, assemblage, pliage et brochage de documents, messagerie, buanderie et réception de marchandises sont des exemples des types de travaux pratiqués dans les années 1970. La grande diversité permet ainsi d’attirer et de satisfaire plus de patients.Le traitement moral, qui a de nombreuses fois fait ses preuves depuis 1845, définit avec le temps ses objectifs et les précise. C’est vers 1960 que la thérapie morale (devenue la thérapie du milieu) confirme ses buts : rapprocher le patient de la nature et l’éloigner de son milieu pathologique, détourner son esprit des pensées morbides, lui donner un environnement ordonné et structuré, promouvoir le contact avec des personnes « intelligentes » afin d’améliorer sa sociabilité ainsi que lui donner de la latitude dans l’expression de ses goûts individuels7. En bref, cette thérapie vise à redonner au patient une vie sociale et occupationnelle sans lui donner l’objectif d’une parfaite réinsertion dans la société, ce qui croyait-on, lui mettrait trop de pression.Il est ainsi possible de voir que le traitement moral, présente dès la fondation des hôpitaux psychiatriques, évolue avec les années. Les médecins en comprennent tout de suite l’efficacité, et avec le temps, on le perfectionne. Ce traitement moral s’inscrit dans un processus d’institutionnalisation de la psychiatrie et le rôle qu’il y joue est primordial, puisque même avec l’arrivée des traitements médicaux, qui semblent révolutionnaires à l’époque, le traitement moral va continuer d’être appliqué dans tous les hôpitaux. L’ère du traitement de la maladie mentale, au même titre que toute autre maladie physique, commence.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 108.
- Normand Séguin. op.cit., p. 48.
- Jules Lambert. Mille fenêtres. Éditions Centre hospitalier Robert-Giffard, Beauport, 1995, p. 34.
- Aujourd’hui, le loisir et le travail sont encore considérés comme bénéfiques, et ce autant pour les personnes atteintes de maladie mentale que pour le reste de la société.
- Jules Lambert. Mille fenêtres. op.cit., p. 129.
- Ibid., p. 147.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 115.
Au début du XXe siècle, de nouveaux traitements sont découverts et mis en application. Bien que certains d’entre eux nous semblent « barbares » à première vue, ils étaient à l’époque considérés comme révolutionnaires. Les nouveaux traitements médicaux tels que la malariathérapie, l’insulinothérapie, la lobotomie et la cure du sommeil viennent alors s’ajouter au traitement moral déjà fortement utilisé dès le début des asiles au Québec, sans toutefois le remplacer. Leur coexistence étant tout à fait recommandée, les guérisons, ou du moins les améliorations de l’état chez les patients, semblent augmenter de façon notable.Découverte en 1917 par Julius Wagner Von Jauregg (1857-1940) à Vienne, la malariathérapie (C1) est mise au point et introduite au Québec vers 1925 et utilisée dès 1927 comme traitement de la démence syphilitique (paralysie générale) à l’Hôpital Saint-Michel-Archange. Ce traitement consiste à inoculer au malade atteint de paralysie générale le germe du paludisme. Le but est d’obtenir suffisamment de crises hyperthermiques (accès palustres) pour guérir la maladie. Jauregg pensait que, la maladie étant dû à un agent extérieur (le microbe de la syphilis), l’élévation de température pourrait tuer cet agent extérieur et on aurait une guérison. Le docteur Charles-Saluste Roy, (C2) surintendant à l’Hôpital Saint-Michel-Archange (de 1923 à 1946), note à cet effet, en 1929, que les « résultats sont jusqu’ici inespérés mais que les risques de ce traitement restent élevés1. » Cette déclaration s’accompagne de statistiques : sur dix patients traités avec la malariathérapie, on note une rémission complète, deux cas inchangés, trois améliorations et quatre décès. Ses succès furent donc limités, malgré les attentes qu’on en avait. Traitement complètement dépassé aujourd’hui, il a été remplacé au début des années 1940 par la pénicilline; elle s’avérait plus efficace et réduisait les risques associés au traitement.Quant à elle, l’insulinothérapie (C3-C4) est découverte en 1933 par le psychiatre Manfred Sakel (1900-1957). Au départ, et aujourd’hui encore, l’insuline est surtout utilisée pour traiter le diabète, mais on se rend vite compte de ses effets bénéfiques, en particulier pour la schizophrénie. L’insulinothérapie est d’ailleurs le premier traitement à avoir un effet positif sur cette maladie, et elle est appliquée dès 19342. Ce traitement est introduit à l’Hôpital Saint-Michel-Archange vers 1937, mais sa période d’utilisation la plus prospère est sans doute dans les années 1950. Le schizophrène est le malade qui réagit le mieux à ce traitement médical, mais il n’est pas le seul; on traite aussi les cas de type paranoïde et les déprimés. Par contre, l’insulinothérapie cause problème chez les femmes : elles seraient, selon le docteur Armand Thibault de l’Hôpital Saint-Michel-Archange, plus difficiles à traiter par ce médicament. Elles réagiraient de manière beaucoup plus exubérante que les hommes. Ce problème a été réglé en traitant les femmes dans des salles individuelles3. Cette thérapeutique médicale est pratiquée jusque dans les années 1970 à Saint-Michel-Archange, pour ensuite être complètement délaissée au profit des antidépresseurs.Parallèlement, d’autres formes de traitement se développent : la convulsivothérapie (appelée aussi pharmacoconvulsion), mise au point par Ladislas Von Meduna (1896-1964). Meduna utilise d’abord des injections de camphre dissous dans l’huile d’olive pour provoquer des convulsions chez des malades catatoniques. Il abandonne ce traitement peu après pour utiliser le métrazol (Cardiozol). (C5-C5a) Introduit au Québec en 1934, ce médicament, qui se révèle être plus efficace que le camphre, est d’abord utilisé comme test-diagnostic pour l’épilepsie puisqu’il provoque chez le patient une série de crises convulsives et que l’épileptique réagit fortement aux convulsions. Agissant sur les troubles du comportement et sur le caractère, on se rend vite compte de ses effets sur toutes sortes de psychoses, entre autres les maniaco-dépressives, ainsi que sur l’anxiété et la schizophrénie4. Même si elle ne guérit pas complètement la maladie, le métrazol permet une amélioration telle qu’il est possible, à la suite du traitement, d’amener le patient dans une salle communautaire et de lui demander de petits services. Dans un traité sur le traitement par les chocs publié en 1943, le docteur Charles-Saluste Roy affirme que le métrazol est en train de devenir le médicament le plus populaire pour traiter toutes sortes de psychoses5.Cependant, la convulsivothérapie par le métrazol comporte son lot de problèmes. Tout d’abord, certains patients ne peuvent être traités par ce médicament : personnes atteintes du cœur, atteintes d’une affection fébrile et celles ayant subi un fort traumatisme crânien avec perte de mémoire6. De plus, les convulsions causent parfois de nombreuses fractures chez le patient, ce qui n’est pas sans causer de problèmes. C’est ainsi que quelques années après la découverte de la convulsivothérapie par le métrazol, celle-ci est remplacée par les électrochocs, mis au point par Ugo Cerletti (1877-1963) et Lucino Bini (1908- ).Le principe de l’électrochoc est de provoquer une perte de conscience suivie de convulsions, le tout en faisant passer un courant alternatif dans l’organisme par l’entremise du cerveau. Résultat : un raccourcissement spectaculaire de la durée des souffrances mentales, habituellement atroces pour le patient, qui autrefois duraient de six à neuf mois7. En 1955, une étude publiée sur les électrochocs montre que les résultats de ce traitement médical sont au moins aussi positifs que ceux de l’insulinothérapie. Par contre, ils ne peuvent remplacer le métrazol comme test-diagnostic de l’épilepsie, ce qui constitue un des points négatifs de ce traitement. L’autre : le mouvement antipsychiatrique des années 1970 se positionne contre cette technique en affirmant le barbarisme du procédé. Cette prise de position va entraîner un scepticisme face aux électrochocs dans la société. Aujourd’hui, ce traitement est toujours pratiqué, mais dans des conditions moins dangereuses et plus humaines : l’utilisation du curare permet d’éviter les convulsions et l’anesthésie complète, les souffrances du patient. De plus, aujourd’hui, la principale indication de l’électrochoc est la dépression majeure résistante aux autres traitements et faisant courir un risque vital au patient, donc utilisé comme traitement de dernier recours.Inventée au Portugal en 1935 par Egas Moniz (1874-1955) et introduite au Québec vers 1946, la lobotomie (C6) est à l’époque considérée comme révolutionnaire. Elle se pratique en sectionnant les nerfs qui relient le lobe frontal au reste du cerveau afin d’en limiter les échanges. La première lobotomie pratiquée au Québec se fit en 1946 à l’Hôpital de Verdun, puis fut introduite par la suite à Saint-Michel-Archange. Elle est utilisée, entre autres, pour soigner l’anxiété et l’agitation pathologique. Malgré ses résultats fulgurants qui éberluent tous les médecins, la lobotomie n’est pas parfaite. Elle est en fait très risquée. La science neurologique n’était pas à cette époque très développée, et les connaissances sur le cerveau étaient minimales. Des incidents se produisent parfois et des mauvais nerfs sont sectionnés par erreur, entraînant de ce fait l’apparition d’un état végétatif chez le patient. La lobotomie peut aussi avoir des effets négatifs tels un appauvrissement affectif ou des rechutes8. Même si on semble voir une amélioration sur l’état des patients, la surface cache parfois certains problèmes; si les tourmentés semblent apaisés, si les agités semblent calmés, ils sont quelques fois privés de leur jugement moral et de leurs habiletés sociales. L’arrivée de la psychopharmacologie (C7) dans les années 1950 signe la mise au rancard de cette pratique, qui ne ressurgira que plusieurs années plus tard. Malgré tout, ce traitement médical semble avoir tout de même charmé le milieu médical, car il est encore pratiqué aujourd’hui dans des cas isolés. La lobotomie a par contre changé de nom, celui-ci étant trop péjoratif : le traitement est devenu la stéréotaxie. Elle est maintenant pratiquée sur des gens souffrant de dépression chronique ou de troubles compulsifs graves et on obtient de ce traitement un taux de réponse allant de 60 à 70% chez les personnes ayant subi cette intervention9.Finalement, la cure du sommeil fut aussi un traitement médical beaucoup pratiqué dans les débuts de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle consistait simplement au repos systématique du malade pendant plusieurs jours, celui-ci étant alité dans une salle réservée à cet effet. Cette thérapie était utilisée pour traiter plusieurs types de maladies, à savoir : les malades très déprimés et affaiblis dans leur état physique et mental, les sujets atteints d’excitation maniaque ou de délire aigu, ainsi que tous ceux épuisés par le surmenage, les nuits d’insomnies et les privations de nourriture10.Ainsi, l’arrivée des traitements médicaux dont nous avons parlé plus haut ont soulevé à la fois l’admiration et la répulsion. Bien que révolutionnaires pour l’époque, l’arrivée de la psychopharmacologie les relèguera au stade de souvenir. (C8-C9-C10-C11-C12-C13-C17-C18)
- Jules Lambert. Mille Fenêtres, op.cit., p. 60
- Lambert Tremblay. Évolution des traitements en psychiatrie depuis la fondation de l’asile jusqu’à l’ère du Prozac dans la société moderne, p. 18.
- Armand Thibault. Notes relatives à l’insulinothérapie, traitement en vigueur au cours des années 1950. Galerie historique Lucienne-Maheux, Institut universitaire en santé mentale de Québec, p. 1. 21 Lambert Tremblay. op. cit., p. 26.
- Lambert Tremblay, op.cit., p. 26.
- Charles-Saluste Roy. La malaria thérapie et la thérapeutique par les chocs à l’Hôpital Saint-Michel-Archange. Auspices du Ministre de la Santé et du Bien-être Social, l’Honorable Henri Groulx, Québec, Galerie Lucienne-Maheux, Institut universitaire en santé mentale de Québec, 1943, p. 63.
- Ibid.
- Hubert A. Wallot. op. cit., p. 135.
- Mario Girard. “L’émotion sectionnée”, in La Presse,January 9, 2005, p. 13.
- Ibid.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 108.
Apparue depuis longtemps, vraiment développée depuis peu et avec un potentiel de contrôle de la maladie mentale assez phénoménal, la psychopharmacologie relègue effectivement aux oubliettes les traitements médicaux en vogue au milieu du XXe siècle. Sa diversité et ses multiples champs d’action font d’elle un élément majeur dans le développement des traitements pour les maladie mentales et change notre perception. En effet, dès que la maladie mentale commence à être traitée comme n’importe laquelle des maladies physiques, soit par une médication, la population se fait plus tolérante face aux personnes atteintes de maladie mentale.C’est vers la fin du XIXe siècle, en Allemagne que sont mis sur le marché des sédatifs et hypnotiques utilisés pour traiter les maladies mentales. Dès 1806, on découvre la morphine, un dérivé de l’opium. L’opium est à ce moment très souvent prescrit pour ses propriétés tranquillisantes et sédatives. Il sera par contre délaissé vers la fin du XIXe siècle pour des raisons de dépendance. On découvre en 1826 les bromures, médicaments calmants employés pour traiter les maladies nerveuses et l’insomnie, mais ils ne sont utilisés dans les asiles que vers 1880, pour leurs propriétés sédatives pour sevrer les dépendants à la morphine et à la cocaïne, ainsi que pour calmer les agités afin qu’ils ne souffrent pas d’épuisement. Ils provoquent une cure de sommeil prolongée pour les patients très excités. Les bromures seront employés jusqu’au XXe siècle1.L’hydrate de chloral, découvert en 1832, est utilisé dans les hôpitaux psychiatriques à partir de 1869. Ce médicament connaîtra une grande popularité pendant un long moment pour ses vertus soporifiques. La scopolamine, ou hyoscine, est découverte vers 1880 et utilisée jusqu’en 1950 comme calmant dans le traitement de l’anxiété. En 1903, ce sont les barbituriques, de puissants somnifères, qui font leur apparition. Depuis, une cinquantaine de dérivés ont été mis sur le marché2. Le méprobamate, un tranquillisant chimique, est le premier à connaître une frénésie populaire, au point où en 1956, un Américain sur 20 l’utilise, mais on lui découvre des effets néfastes, ce qui le relègue aux oubliettes3.La décennie 1940 voit la psychopharmacologie se développer de plus en plus. On utilise les mêmes médicaments, mais on en combine certains, comme l’hyoscine et la morphine, pour plus de résultats. En raison du surpeuplement des hôpitaux psychiatriques à cette époque, on comprend que les querelles entre patients et le bruit sont choses courantes. Le développement de la psychopharmacologie permet ainsi un retour au calme dans les ailes bondées4. Mais la véritable psychopharmacologie moderne débute dans les années 1950, avec l’arrivée des antidépresseurs et des neuroleptiques, dont les effets antipsychotiques sont découverts par Jean Delay (1907-1987) et Pierre Deniker (1917-1998). Parmi les antidépresseurs, le chlorpromazine (Largactilâ), utilisé surtout dans les années 1960 dans le cocktail de Laborit (mélange de Démérol, Phénergan et Largactil), révolutionne la psychopharmacologie en calmant les malades agités et excités. Le Largactilâ est le premier médicament à être vraiment efficace contre les psychoses. Il est très utilisé à l’époque ; l’année 1953 compte à elle seule le traitement à l’Hôpital Saint-Michel-Archange de 230 patients par ce médicament. Les neuroleptiques sont actifs eux aussi au niveau de l’agitation des patients ainsi qu’avec les psychoses. L’espoir mis en ces médicaments est grand et les résultats prometteurs. On les utilise aussi à des fins de contrôle de la désorganisation de la pensée, de l’affect et du comportement5. Depuis la découverte de tous ces médicaments, toute une gamme d’antidépresseurs et d’antipsychotiques sont mis sur le marché, détrônant tous les autres traitements utilisés dans l’histoire de la folie depuis que les médecins ont cherché à trouver une solution médicale à ce problème.Les années 1960 voient elles aussi la mise en marché de nouveaux produits qui vont révolutionner la psychopharmacologie : les benzodiazépines, toujours utilisés aujourd’hui. Ils remplacent les barbituriques découverts quelques décennies auparavant. Reconnus pour leurs propriétés anxiolytiques et hypnotiques, ils vont devenir les médicaments les plus prescrits dans le monde entier. Les plus connus luttent contre le trouble anxieux : diazépam (Valium), flurazépam (Dalmane), alprazolam (Xanax) et lorazépam (Ativan). Le lithium est aussi découvert à cette époque (1954) par Mogen Chou, et est utile afin de traiter la maladie bipolaire. En 1987, c’est la fluoxétine (Prozac) qui fait son apparition. Très populaire aujourd’hui, elle est utilisée pour traiter l’anxiété, la dépression, la boulimie, l’obsession, la panique et la gêne6.L’apparition de tous ces médicaments sur le marché a considérablement modifié le traitement des maladies mentales. S’ensuit une révolution dans la science psychiatrique et une nouvelle conception de la maladie mentale. Le nouveau courant préconise une désinstitutionnalisation, qui se fera en masse dans les années suivantes, pour en arriver aujourd’hui avec le traitement dans la communauté et une recherche beaucoup plus poussée à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.Le XXIe siècle voit l’apparition de nouveaux débats, ceux-ci du domaine de l’éthique et du droit. Les spécialistes d’aujourd’hui se questionnent sur l’administration des médicaments : peut-on donner un médicament à un patient qui ne peut comprendre l’importance des effets secondaires? Dans le même sens : une personne qui est complètement hors de la réalité peut-elle vraiment, en connaissance de cause, faire un choix réfléchi et bénéfique pour elle? Voilà ce à quoi s’attardent aujourd’hui plusieurs personnes, car l’invention et l’administration de médicaments continuent de soulever plusieurs questions de cet ordre. (D1-D3-D4-D5)
- Lambert Tremblay. op.cit.,p. 25.
- Ibid., p. 26
- Hubert A. Wallot. op.cit. p. 126.
- Jules Lambert. Mille Fenêtres, op.cit., p. 81.
- Ibid., p. 74.
- Lambert Tremblay. op.cit.,p. 34.
Le développement de la psychopharmacologie dans les années 1950-1960 s’accompagne d’une forte vague de désinstitutionnalisation. L’évolution du concept de maladie mentale nous amène, encore une fois, à une nouvelle vision des traitements à administrer à ceux qui en souffrent. Le mouvement des droits et libertés de la personne donne un ton de respect aux institutions psychiatriques et on vise à partir de ce moment à humaniser les traitements en santé mentale, tout d’abord en abandonnant l’asile comme moyen d’intervention et en limitant le nombre et la durée des hospitalisations. On tente d’éviter aux patients la perte de leur situation et de leur foyer. On ne les hospitalise que si c’est vraiment nécessaire et on retourne dans la société ceux qui en sont aptes.Même si le véritable mouvement de désinstitutionnalisation ne débute que vers 1960, le début du XXe siècle possède son école de pensée à ce sujet. Le docteur Delphis Brochu, surintendant médical à l’Hôpital Saint-Michel-Archange de 1903 à 1923, émet la réflexion que les malades hospitalisés doivent être préparés à un retour éventuel en société ; il augmente ainsi le nombre de libertés aux plus lucides. Il tente aussi, pour certains, le traitement dans leur famille, et en cas d’échec, dans des familles isolées ou de type colonial1. On peut voir ici un prélude à la désinstitutionnalisation dès le début du siècle. (E1)C’est ensuite en 1950 qu’arrivent les débuts de la désinstitutionnalisation. C’est la mise en place du programme « portes ouvertes », qui ponctue les hospitalisations par des sorties, à l’exemple de promenades au parc ou de fin de semaine dans la famille. C’est aussi à cette époque que l’on reconnaît l’existence de foyers affiliés à l’Hôpital Saint-Michel-Archange, ceux-ci servant principalement à décongestionner le système de santé. Cependant, on remarque au Québec un certain retard dans la désinstitutionnalisation car ce mouvement nécessite une réorganisation en matière de prise en charge de la maladie mentale. L’accent doit passer du patient individuel au milieu familial, social et culturel2.C’est donc durant la décennie 1960 que le véritable changement se fait. En 1965, les religieuses abandonnent la gestion de l’hôpital à la suite de la révolution de la psychiatrie et des débuts de la désinstitutionnalisation. L’hôpital est remis entre les mains de l’État. C’est la première phase de la désinstitutionnalisation. Elle est amorcée en partie par le rapport Bédard. Une Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques est mise sur pied en 1961 par le gouvernement libéral et le 9 mars 1962, elle dépose son rapport. Le rapport Bédard recommande entre autres la désinstitutionnalisation : « La Commission est convaincue que des centaines de malades continuent d’habiter nos hôpitaux mentaux, alors que leur état mental ne requiert pas l’hospitalisation. La Commission termine ses commentaires en évoquant les principales recommandations (…) :
- On doit traiter les malades mentaux près de leur lieu de résidence, afin d’éviter le déracinement social;
- Des hôpitaux plus petits (moins de 500 lits) et rattachés à des hôpitaux généraux régionaux assurant des services plus adéquats (…) ;
- Chaque hôpital psychiatrique, outre l’hospitalisation, doit offrir la gamme des services : cliniques externes, centres diurnes et nocturnes, équipe d’urgence, etc., avec la réduction conséquente du nombre de lits (…).3 »
Cette première phase a trois objectifs : régionaliser, diversifier et multiplier les services dans la communauté.La deuxième phase débute vers les années 1975 et change principalement, encore une fois, la perception de la société envers la maladie mentale. Considérée au même titre que toute autre maladie, on commence à intégrer des services pour les malades mentaux dans les établissements de soins déjà existants, c.-à-d. par exemple dans les hôpitaux généraux ou dans les cliniques médicales.La troisième et dernière vague de désinstitutionnalisation débute avec la Politique de la Santé mentale en 1989. Cette politique donne cinq orientations quant au traitement de la maladie mentale :
- assurer la primauté de la personne;
- accroître la qualité des services;
- répartir équitablement les ressources en fonction des besoins;
- rechercher des solutions dans le milieu de vie;
- consolider un partenariat entre l’individu, les ressources publiques et les ressources du milieu4.
Ainsi, à la suite de la politique de 1989, on assiste à la mise en place d’un système de services dans la communauté (extrahospitalier) afin d’éviter les hospitalisations en milieu psychiatrique. Ces centres de traitements dans la communauté sont installés dans des espaces intégrés à la société. Une équipe multidisciplinaire y prodigue des soins jour et nuit. La spécificité des patients, selon leur diagnostic, ainsi que la spécialisation des employés, formés avec une approche particulière, font de ces centres des lieux de traitements surspécialisés en psychiatrie5. Plusieurs services sont offerts dans ces centres, comme par exemple un service de garde psychiatrique, un service d’accompagnement par des intervenants du centre, un service d’intervention d’urgence et des visites à domicile.Le traitement dans la communauté a beaucoup évolué depuis son apparition. Au XXIe siècle, l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (E2) a divisé ses services en plusieurs centres spécialisés situés dans la communauté. Ces centres sont rattachés à des programmes-clientèles http://www.institutsmq.qc.ca/index.php?id=110.asp depuis la réorganisation des soins et services de cet établissement. Ce type d’organisation « est constitué d’un ensemble d’actions interreliées répondant à des objectifs précis qui nécessitent pour leur réalisation des ressources humaines, matérielles, financières et informationnelles, en vue de satisfaire les principaux besoins d’une clientèle cible.6 ». Ces programmes-clientèles consistent en un regroupement de malades par famille de diagnostics en psychiatrie, et ce visant une meilleure évaluation des besoins, une plus grande accessibilité aux services dans la communauté et la répartition des ressources7. Ainsi, selon le diagnostic du patient, celui-ci n’est pas hospitalisé mais plutôt traité en extrahospitalier dans un centre spécialisé à son type de maladie. À titre d’exemple, un des programmes-clientèles regroupe des personnes atteintes de troubles sévères de la personnalité. Ces patients sont soignés dans le Centre de traitement Le Faubourg Saint-Jean. Ce programme-clientèle traite des personnes les plus sévèrement atteintes de la région de Québec dont les symptômes sont graves et nécessitent une approche interdisciplinaire pour améliorer leur condition de santé mentale. Quant à ceux souffrant de troubles affectifs, ils se rendent à l’Hôpital de jour pour consulter l’équipe multidisciplinaire et recevoir leurs traitements. Ces services sont offerts aux personnes en état de crise qui ne présentent pas de danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Il s’agit d’un traitement intensif de courte durée permettant d’éviter l’hospitalisation. Les personnes y sont le plus souvent référées par l’urgence psychiatrique située à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus8. Ainsi, plusieurs centres qui fonctionnent par familles diagnostiques sont créés dans la communauté. On voit donc les résultats de la désinstitutionnalisation aujourd’hui : une meilleure accessibilité des services qui sont appropriés au patient afin de favoriser un meilleur traitement dans la communauté et une réinsertion sociale maximale. En ce qui concerne les autres ressources résidentielles dans la communauté de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, comme les ressources de type familial, plusieurs ont été transférés aux CLSC de la région de Québec. Les services et les professionnels suivent d’ailleurs cette vague et se dispersent dans la communauté.
- Hubert A. Wallot. op.cit., p. 92.
- Ibid., p. 182.
- Hubert A. Wallot, op.cit., p. 211.
- Ibid., p. 391.
- Ibid., p. 374.
- Institut universitaire en santé mentale de Québec. Guide d’élaboration d’un programme clientèle, mars 2003, p. 10.
- http://www.institutsmq.qc.ca/index.php?id=25
- http://www.institutsmq.qc.ca/index.php?id=110
Parallèlement à ce mouvement de désinstitutionnalisation, une spécialisation des services offerts se développe. Dès le début des années 1920, l’Hôpital Saint-Michel-Archange obtient son propre service de physiothérapie. Il offre des traitements par la diathermie et par les ultraviolets. Dès son entrée dans l’hôpital, le service est très populaire et son utilisation augmente avec les années. Ainsi, durant l’année 1956, 1 035 patients ont recours au service de physiothérapie, qui a d’ailleurs amélioré ses techniques : en plus de la diathermie et des ultraviolets s’ajoutent les ultrasons, bains de cire, massages et autres1. La physiothérapie marque le début d’un large mouvement de spécialisation qui prendra lui aussi plus d’ampleur dans les années 1960. Plusieurs spécialités médicales voient le jour à l’Hôpital Saint-Michel-Archange.En 1944, l’École des Sciences Sociales de Laval fonde son premier Service social psychiatrique. Ce service sera utilisé en parallèle avec l’Hôpital Saint-Michel-Archange, qui fonde en 1947 sa clinique de service social psychiatrique. Des spécialistes de cette université viendront suivre les patients à leur entrée à l’hôpital, lors de leur hospitalisation et à leur sortie. Le service de psychologie est quant à lui fondé en 1953, avec l’embauche d’un psychologue qui se joint aux spécialistes faisant partie de l’équipe.L’année 1966 marque un tournant dans la spécialisation à l’Hôpital Saint-Michel-Archange. Tout d’abord se développe un service d’inhalothérapie, et en plus des soins administrés aux patients dans ce domaine, une formation en réanimation cardiorespiratoire est donnée au personnel de l’hôpital2. Aussi, cette année-là, l’Hôpital Saint-Michel-Archange exprime la volonté de créer des services de gérontologie, des services pour enfants et adolescents, pour les alcooliques, etc. Le désir de développer des domaines connexes à la psychiatrie comme la psychologie, le travail social et l’ergothérapie, ainsi que celui d’embaucher des moniteurs, des éducateurs et des préposés aux malades est aussi exprimé3. Tous ces services seront créés dans les années qui suivent cette volonté d’action.
Vers 1973-74, l’Hôpital Saint-Michel-Archange crée un centre d’accueil dans son établissement. Il est destiné aux patients qui ne nécessitent pas de soins psychiatriques, médicaux et infirmiers continus, mais qui par contre doivent consulter des services d’éducation, d’apprentissage, de loisirs et de motivation en vue d’un retour en société. Il sera fermé dans les années 1980-1990 pour devenir un CHLSD (Centre hospitalier de Soins de Longue Durée).Le mouvement de sur-spécialisation a mené aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Québec à intégrer toute une gamme de services professionnels spécialisés, comme le service de réadaptation « fonctionnelle » (ergothérapie et physiothérapie), la pharmacie, la psychologie, la physiothérapie, la sexologie, le service social, l’éducation spécialisée, la gérontopsychiatrie, la neurologie, etc.
- Jules Lambert. Mille fenêtres, op.cit., p. 77.
- Ibid., p. 144.
- Jules Lambert. L’Hôpital psychiatrique, Centre actif de traitement et de réhabilitation. Commission Bonneau – Dr, Jules Lambert, 1966, p. 11.
Depuis longtemps, l’Institut universitaire en santé mentale de Québec est préoccupé par la formation de son personnel. Ainsi, en 1915, Sœur Saint-Calixte, alors supérieure et directrice générale de l’Hôpital Saint-Michel-Archange, fonde la première école d’infirmières du district de Québec qui, en 1924, s’affilie à l’Université Laval. En 1949, pour répondre à la demande du ministère de la Santé et de concert avec l’Université Laval, Sœur Saint-Ferdinand fonde l’école de perfectionnement en neuropsychiatrie pour les infirmières et infirmiers diplômés. L’École forme des responsables d’unités de soins pour l’enseignement clinique et prépare des assistantes et assistants aux spécialistes en psychiatrie pour les hôpitaux généraux. À la demande de l’Association des infirmières de la province de Québec, l’Université Laval rend le stage en psychiatrie obligatoire pour l’obtention du diplôme aux examens dès 1960. Quelques années plus tard, le cours d’infirmière et d’infirmier est intégré au programme dans les cégeps et le cours de garde-malade auxiliaire, aux écoles polyvalentes.1En 1952, le recteur de l’université demande à l’hôpital de devenir un « hôpital-école » afin qu’il puisse y envoyer ses étudiants en technologie médicale. Un volet de sa mission est de « favoriser l’émergence, le maintien et le développement d’une culture d’enseignement axée sur le savoir en psychiatrie et en santé mentale.2 » Le CHRG se joint dans le cadre de sa mission à l’Université Laval. De ce fait, des stages sont offerts aux étudiants universitaires dans plusieurs domaines : psychiatrie, psychologie, service social, sciences infirmières, etc.Aujourd’hui, l’Institut universitaire en santé mentale de Québec comporte un volet enseignement très développé.Ainsi, la deuxième moitié du XXe siècle est synonyme de changements dans l’organisation des soins psychiatriques au Québec. On permet une meilleure intégration des personnes qui en sont atteintes de la maladie mentale, et ce, grâce au traitement dans la communauté. L’enseignement et la spécialisation ont, quant à eux, permis aux patients de recevoir des soins mieux adaptés à leurs besoins. La fin du XXe siècle voit le traitement des maladies mentales à l’Institut universitaire en santé mentale de Québecatteindre des sommets, particulièrement au niveau de la recherche et de la création de programmes innovateurs.
- France Saint-Hilaire. « Hôpital Saint-Michel-Archange: Berceau de la profession infirmière à Québec », Le P’tit Robert, no 245, mai 2005, p.3.
- http://www.institutsmq.qc.ca/index.php?id=59
(F1) Depuis quelques décennies, un des volets de l’Institut universitaire en santé mentale de Québecse développe de plus en plus : la recherche. Dès les années 1950, on assiste à un développement rapide des laboratoires. En 1954 est ajouté au laboratoire de biologie un autre laboratoire qui est destiné à la promotion de la recherche. Déjà en 1958, ce laboratoire de biologie compte deux docteurs en sciences qui y travaillent1. En 1966, l’Hôpital Saint-Michel-Archange devient officiellement un centre de recherche et d’enseignement; il promeut donc la formation « tant au niveau sous-gradué que post-gradué des membres de ses équipes 2». En 1987, un projet d’envergure est réalisé. En partenariat avec l’Université Laval et l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur-de-Jésus, l’Institut universitaire en santé mentale de Québec crée le Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard (CRULRG). Sa mission principale est de faire avancer la science concernant les maladies neuropsychiatriques adultes et infantiles, ainsi que sur le cerveau et sur le comportement. Les domaines de pointe comme la neuroscience et la génétique y sont étudiées et enseignées. Le CRULRG est voué principalement à la recherche et est divisé en quatre axes:
- la recherche évaluative et clinique,
- la neurobiologie systémique,
- l’épidémiologie génétique,
- la neurobiologie cellulaire.3
La neuroscience se développe depuis les 25 dernières années. Elle cherche à comprendre le fonctionnement du cerveau et à relier ses parties à des fonctions précises. À titre d’exemple, le langage a été associé par cette science au lobe frontal. Ainsi, on peut grâce à la neuroscience trouver l’origine des maladies mentales pour ainsi pouvoir développer des traitements efficaces. Dans ce dossier, plusieurs pas ont été faits : on a découvert au cours des années plus d’une centaine de neurotransmetteurs, à l’exemple de la sérotonine en 1952 ou de la dopamine en 1957.Le CRULRG est reconnu par le Fonds de Recherche en Santé du Québec, et ses recherches sur des maladies telles que la schizophrénie, l’autisme, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, ainsi que plusieurs autres, en font un centre très réputé sur les plans national et international4
- Jules Lambert, Mille fenêtres, op.cit., p. 77.
- Jules Lambert, L’Hôpital psychiatrique…, op. cit., p. 12.
- http://www.crulrg.ulaval.ca/v3/fr/data/CRULRG.Bienvenue.Welcome.htm
- http://www.institutsmq.qc.ca/index.php?id=58/
Madame France St-Hilaire, archiviste professionnelle et responsable de la Galerie historique Lucienne-Maheux, Service des communications, Institut universitaire en santé mentale de Québec. Supervision, révision du texte et rédaction des vignettes.Madame Catherine Lessard, chef du Service des communications, Institut universitaire en santé mentale de Québec. Révision du texte.Monsieur Gilles Barbeau, professeur émérite, Faculté de pharmacie, Université Laval. Révision du texte sur les traitements médicaux et la psychopharmacologie.Madame Lucie Ouellet, agente de programmation, Direction des soins et services cliniques. Révision du texte.Monsieur Simon Lecomte, technicien en audiovisuel, Direction de l’enseignement, Institut universitaire en santé mentale de Québec. Prise de photos des documents d’archives et traitement de photos.Merci aussi pour leurs précieux conseils:
- Monsieur Alain Rioux, coordonnateur à la programmation et à l’évaluation des services à la clientèle, Direction des soins et services cliniques, Institut universitaire en santé mentale de Québec.
- Docteur Hubert Wallot, psychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Québec.
- Patricia Solomon, pour avoir fourni la traduction français-anglais.