L’Institut universitaire en santé mentale de Québec – La psychopharmacologie
Apparue depuis longtemps, vraiment développée depuis peu et avec un potentiel de contrôle de la maladie mentale assez phénoménal, la psychopharmacologie relègue effectivement aux oubliettes les traitements médicaux en vogue au milieu du XXe siècle. Sa diversité et ses multiples champs d’action font d’elle un élément majeur dans le développement des traitements pour les maladie mentales et change notre perception. En effet, dès que la maladie mentale commence à être traitée comme n’importe laquelle des maladies physiques, soit par une médication, la population se fait plus tolérante face aux personnes atteintes de maladie mentale.
C’est vers la fin du XIXe siècle, en Allemagne que sont mis sur le marché des sédatifs et hypnotiques utilisés pour traiter les maladies mentales. Dès 1806, on découvre la morphine, un dérivé de l’opium. L’opium est à ce moment très souvent prescrit pour ses propriétés tranquillisantes et sédatives. Il sera par contre délaissé vers la fin du XIXe siècle pour des raisons de dépendance. On découvre en 1826 les bromures, médicaments calmants employés pour traiter les maladies nerveuses et l’insomnie, mais ils ne sont utilisés dans les asiles que vers 1880, pour leurs propriétés sédatives pour sevrer les dépendants à la morphine et à la cocaïne, ainsi que pour calmer les agités afin qu’ils ne souffrent pas d’épuisement. Ils provoquent une cure de sommeil prolongée pour les patients très excités. Les bromures seront employés jusqu’au XXe siècle1.
L’hydrate de chloral, découvert en 1832, est utilisé dans les hôpitaux psychiatriques à partir de 1869. Ce médicament connaîtra une grande popularité pendant un long moment pour ses vertus soporifiques. La scopolamine, ou hyoscine, est découverte vers 1880 et utilisée jusqu’en 1950 comme calmant dans le traitement de l’anxiété. En 1903, ce sont les barbituriques, de puissants somnifères, qui font leur apparition. Depuis, une cinquantaine de dérivés ont été mis sur le marché2. Le méprobamate, un tranquillisant chimique, est le premier à connaître une frénésie populaire, au point où en 1956, un Américain sur 20 l’utilise, mais on lui découvre des effets néfastes, ce qui le relègue aux oubliettes3.
La décennie 1940 voit la psychopharmacologie se développer de plus en plus. On utilise les mêmes médicaments, mais on en combine certains, comme l’hyoscine et la morphine, pour plus de résultats. En raison du surpeuplement des hôpitaux psychiatriques à cette époque, on comprend que les querelles entre patients et le bruit sont choses courantes. Le développement de la psychopharmacologie permet ainsi un retour au calme dans les ailes bondées4. Mais la véritable psychopharmacologie moderne débute dans les années 1950, avec l’arrivée des antidépresseurs et des neuroleptiques, dont les effets antipsychotiques sont découverts par Jean Delay (1907-1987) et Pierre Deniker (1917-1998). Parmi les antidépresseurs, le chlorpromazine (Largactilâ), utilisé surtout dans les années 1960 dans le cocktail de Laborit (mélange de Démérol, Phénergan et Largactil), révolutionne la psychopharmacologie en calmant les malades agités et excités. Le Largactilâ est le premier médicament à être vraiment efficace contre les psychoses. Il est très utilisé à l’époque ; l’année 1953 compte à elle seule le traitement à l’Hôpital Saint-Michel-Archange de 230 patients par ce médicament. Les neuroleptiques sont actifs eux aussi au niveau de l’agitation des patients ainsi qu’avec les psychoses. L’espoir mis en ces médicaments est grand et les résultats prometteurs. On les utilise aussi à des fins de contrôle de la désorganisation de la pensée, de l’affect et du comportement5. Depuis la découverte de tous ces médicaments, toute une gamme d’antidépresseurs et d’antipsychotiques sont mis sur le marché, détrônant tous les autres traitements utilisés dans l’histoire de la folie depuis que les médecins ont cherché à trouver une solution médicale à ce problème.
Les années 1960 voient elles aussi la mise en marché de nouveaux produits qui vont révolutionner la psychopharmacologie : les benzodiazépines, toujours utilisés aujourd’hui. Ils remplacent les barbituriques découverts quelques décennies auparavant. Reconnus pour leurs propriétés anxiolytiques et hypnotiques, ils vont devenir les médicaments les plus prescrits dans le monde entier. Les plus connus luttent contre le trouble anxieux : diazépam (Valium), flurazépam (Dalmane), alprazolam (Xanax) et lorazépam (Ativan). Le lithium est aussi découvert à cette époque (1954) par Mogen Chou, et est utile afin de traiter la maladie bipolaire. En 1987, c’est la fluoxétine (Prozac) qui fait son apparition. Très populaire aujourd’hui, elle est utilisée pour traiter l’anxiété, la dépression, la boulimie, l’obsession, la panique et la gêne6.
L’apparition de tous ces médicaments sur le marché a considérablement modifié le traitement des maladies mentales. S’ensuit une révolution dans la science psychiatrique et une nouvelle conception de la maladie mentale. Le nouveau courant préconise une désinstitutionnalisation, qui se fera en masse dans les années suivantes, pour en arriver aujourd’hui avec le traitement dans la communauté et une recherche beaucoup plus poussée à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.
Le XXIe siècle voit l’apparition de nouveaux débats, ceux-ci du domaine de l’éthique et du droit. Les spécialistes d’aujourd’hui se questionnent sur l’administration des médicaments : peut-on donner un médicament à un patient qui ne peut comprendre l’importance des effets secondaires? Dans le même sens : une personne qui est complètement hors de la réalité peut-elle vraiment, en connaissance de cause, faire un choix réfléchi et bénéfique pour elle? Voilà ce à quoi s’attardent aujourd’hui plusieurs personnes, car l’invention et l’administration de médicaments continuent de soulever plusieurs questions de cet ordre. (D1-D3-D4-D5)
- Lambert Tremblay. op.cit.,p. 25.
- Ibid., p. 26
- Hubert A. Wallot. op.cit. p. 126.
- Jules Lambert. Mille Fenêtres, op.cit., p. 81.
- Ibid., p. 74.
- Lambert Tremblay. op.cit.,p. 34.